Les troubles sociaux appelés à grimper avec la montée des pressions socioéconomiques à travers le monde

Alors que les sources d’incertitudes économiques sont légion, de nouvelles perturbations politiques pourraient venir grossir leurs rangs. Depuis plusieurs années déjà, le risque politique s’est imposé comme un thème récurrent de l’actualité, prenant des formes variées : montée des populismes, agitation sociale, conflits, terrorisme, protectionnisme.

La nouvelle donne géopolitique ouverte par les actions de la Russie pourrait réveiller les risques sur d’autres points chauds du globe. En outre, les pressions sur les prix, particulièrement sur les biens de première nécessité, continuent de nourrir les frustrations, prenant le relai de celles générées par la crise économique et sanitaire déclenchée par la pandémie.

Notre équipe de Recherche Economique partage aujourd’hui les résultats de l’actualisation de son indice de fragilité sociale et politique. Ce dernier a, certes, fléchi du niveau record atteint l’an passé (voir notre Etude Nouvelle vague de mouvements sociaux post-pandémie : le commerce international en victime collatérale de septembre 2021), mais suggère encore un environnement de risque élevé. Et si les yeux se tournent naturellement vers les pays émergents, les économies avancées ne devraient pas être épargnées par ce regain de tensions sociales.

Malgré l’émergence de tensions inflationnistes, la reprise post-pandémie a permis aux conditions socioéconomiques de s’améliorer par rapport au plus fort de de la crise sanitaire. Ainsi, alors que l’indicateur de fragilité politique et sociale s’était détérioré pour 145 pays sur les 160 analysés par Coface en 2021,140 pays voient leur score s’améliorer cette année. Ce constat d’amélioration doit toutefois être relativisé : en dépit du fléchissement, l’indice global moyen reste un point de pourcentage au-dessus des niveaux pré-pandémique et 2/3 des pays analysés disposent d’un score supérieur à celui d’il y a 2 ans. Ces données viennent confirmer l’effet de catalyseur de la pandémie de Covid pour les risques politiques et suggère que les pressions liées à l’augmentation du coût de la vie ont immédiatement pris le relais des risques générés par la pandémie.

 

La hiérarchie des scores de l’indicateur de fragilité politique & sociale reste dominée par l’Iran (81.6%)

La souffrance économique, déjà à l’origine de manifestations en 2017 et 2019, continue de nourrir la contestation du régime. Depuis mi-septembre, les manifestations déclenchées par la mort de Mahsa Amine, arrêtée par la police des mœurs, illustre une nouvelle fois la fragilité du contexte iranien. Le « podium » de l’indicateur Coface est complété, comme depuis 2017, par la Syrie (78,0%) et le Soudan (76,5%).

La plus forte progression du niveau de risque concerne Myanmar (59.9%), qui reste dans un état de trouble important depuis le coup d’Etat de février 2021. L’Afghanistan, où les Talibans ont remis la main sur le pouvoir après le retrait des troupes américaines, oula Guinée, toujours aux prises avec l’incertitude suite à un coup d'État, comptent également parmi les pays ayant enregistrés une progression des indices. La progression des scores de la Biélorussie, de la Serbie ou de l’Egypte sont à signaler. Enfin, la Turquie fait également l’objet d’une attention particulière : sa politique économique hétérodoxe continue en effet d’alimenter une inflation record.

 

Les troubles civils les plus explosifs sont susceptibles de se produire là où les possibilités de dissidence se réduisent

Et où la capacité de protéger les populations contre la hausse du coût de la vie est limitée. La réponse budgétaire à la crise sanitaire a, en effet, largement entamé les marges de manœuvre des pouvoirs publics, notamment dans les pays à revenu moyen ou faible, et limitent donc la capacité à répondre à de nouvelles tensions socioéconomiques. Les regards se tournent ainsi sur des pays émergents dont les finances publiques sont en difficulté, tels que le Kenya, la Bolivie, la Tunisie ou l’Egypte.

 

Néanmoins, les pays avancés, à commencer par les pays d’Europe, ne sont pas épargnés par ces risques.

Si les gouvernements européens ont fait des annonces visant à protéger les ménages de l’inflation, ceux-ci ressentent déjà son impact. Ainsi au Royaume-Uni, outre la fatigue associée à la pandémie, les scandales politiques et les défis économiques majeurs suggèrent que la patience à l’égard du gouvernement sera vraisemblablement très limitée. Le mécontentement des populations européennes se manifeste non seulement dans la rue, mais également dans les urnes. Le contexte socioéconomique dégradé donne une nouvelle impulsion aux partis dits « anti-système » à travers l’Europe, avec par exemple la victoire des Fratelli d’Italia, ou encore la percée du parti national-populiste des Démocrates de Suède.

Si les préoccupations sociales parmi les pays avancés sont les plus fortes en Europe, ce sont les Etats-Unis (35,1%) qui enregistrent le score le plus élevé de l’indicateur de fragilité politique et sociale.

Le pays reste divisé sur de nombreux sujets alors qu’approchent les élections de mi-mandat en novembre. Les questions économiques sont une source d’inquiétude majeure pour les électeurs et des manifestations de travailleurs réclamant des hausses de salaires et de meilleures conditions de travail en sont l’illustration. Les débats sur le droit à l’avortement ont aussi mis sur le devant de la scène les enjeux liés à la protection des droits et au processus de désignation des juges à la Cour Suprême.

Enfin, le bouleversement de la donne géopolitique déclenchée par l’invasion russe en Ukraine réveille des inquiétudes sur un regain de tensions pouvant dégénérer en conflit, particulièrement en Eurasie. Les affrontements entre le Tadjikistan et le Kirghizistan mi-septembre s’inscrivent dans ce contexte. La nouvelle montée des tensions entre la Turquie et la Grèce sont aussi source d’appréhensions. En Asie de l’Est, les tirs de missile nord-coréens rappellent la fragilité de l’environnement sécuritaire dans la région. A cela s’ajoutent les préoccupations croissantes autour de Taïwan. La prudence reste donc de mise en matière de risque de conflits : l’incertitude, pour ne pas dire l’inquiétude, est a priori là pour durer.