Chine : une réouverture économique porteuse de risques et d’opportunités pour les entreprises

La Chine a récemment rouvert ses portes après une fermeture inédite de son économie.

Transformé par cet épisode de crise sanitaire éprouvant, le pays fait l’objet de nombreuses mutations, qu’elles soient politiques, sociales ou économiques. Terre d’opportunités pour les entreprises, certains équilibres semblent néanmoins précaires : guerre commerciale avec les États-Unis, tensions exacerbées avec Taïwan rapprochement avec la Russie, relations complexes avec le reste des puissances occidentales… La deuxième puissance économique mondiale est-elle toujours aussi incontournable, sur le plan business, que par le passé ?

Deux experts de Coface nous révèlent les risques et les opportunités de ce pays pour les entreprises, à la lumière d’une actualité mouvementée. Ève Barré est économiste et Raphaël Rousselot, Directeur de la souscription pour la région Asie Pacifique. Ecoutez tous nos épisodes de Trade Talk, dont celui-ci sur vos plateformes préférées, ou dans notre rubrique Podcast. Et retrouvez toutes nos analyses de risques pays et secteurs gratuitement sur notre site.

 

Eve, pouvez-vous décrire la situation économique de la Chine, à l'heure actuelle ?

L'économie chinoise récupère après le choc de la pandémie. La consommation a été limitée par la politique du zéro-covid, en plus de l'action du gouvernement sur des secteurs tels que le logement, la technologie et l'éducation. La suppression des restrictions strictes imposées par la politique zéro Covid a donc été considérée comme globalement positive pour l'économie chinoise. En effet, dans les premiers mois qui ont suivi la fin de la politique du zéro-covid, l'activité économique, en particulier les services, a connu un solide rebond. Au cours des deux premiers mois de 2023, la production industrielle a augmenté de 2,4 % en glissement annuel, les ventes au détail ont progressé de 3,5 % et la croissance de l'investissement fixe a été supérieure aux attentes (5,5 %). La reprise post-Covid a été plus précoce que prévu. Sur le plan politique, le président chinois Xi Jinping a pu renforcer les fondements de son pouvoir, en plaçant des personnes connues pour leur loyauté à son égard à des postes économiques clés au sein du gouvernement, comme par exemple, le nouveau premier ministre Li Qiang.

 

Raphaël, après la réouverture de leur économie et de leurs frontières, de nombreux pays, développés ou émergents, ont connu un effet de rattrapage économique. Est-ce le cas de la Chine ?

En Chine, nous avons les capacités de suivre les tendances de l’activité économique et commerciale presque en temps réel, grâce à nos données internes. En regardant, par exemple, combien de fois les clients demandent des couvertures pour se protéger d'un défaut de paiement et l’évolution de ces demandes dans le temps, nos données ont notamment montré que la demande pour les produits alimentaires dans les secteurs de l'hôtellerie et de la restauration ont augmenté. D’autres secteurs comme celui du transport aérien ont également profité de la fin des restrictions sanitaires. Néanmoins nous constatons que les populations restent préoccupées par le chômage et le coût de la vie, ce qui peut affecter leur confiance à court terme.

 

Eve, justement, quelles sont les perspectives économiques pour le pays à court et moyen terme ?

Les perspectives économiques de la Chine restent délicates à court et à moyen terme. Le pays est confronté à de nombreux obstacles, notamment la faiblesse des dépenses des ménages, le déclin du marché de l'immobilier et les difficultés financières des gouvernements locaux. Le gouvernement central a défini pour 2023 un objectif de croissance du PIB d'“environ 5 %”, et le premier ministre Li a déclaré que la réalisation de cet objectif "n'est pas une tâche simple et nécessite des efforts redoublés". La capacité à dynamiser la consommation et à stabiliser le marché du logement sera la clé d'un rebond économique robuste. [Chez Coface] Nous prévoyons une croissance de l'économie chinoise comprise entre 4 et 5 % cette année.

 

Pourriez-vous nous en dire plus sur le marché immobilier ? Comment les choses ont-elles évolué ces derniers temps ? Le secteur est-il sous contrôle ?

L'annonce en novembre d'un plan de sauvetage en 16 points par la banque centrale, les secteurs bancaires et de l’assurance, représente le changement le plus important dans la politique du logement depuis 2016. Cette annonce marque un message clair : la gestion du risque de baisse et le rétablissement de la stabilité du marché du logement sont devenus des priorités politiques en vue de poursuivre cette recherche de stabilité économique. Les mesures les plus significatives de ce plan sont celles qui s'attaquent aux problèmes de financement des promoteurs. Bien que le marché de l'immobilier reste sous pression, une certaine stabilité s'installe. L'indice du secteur immobilier a cessé de baisser. La baisse des prix des logements a ralenti en février, ainsi que d'autres indicateurs du logement, tels que les ventes et les investissements immobiliers, qui semblent également avoir atteint un plancher. Un fort rebond de l'activité immobilière comme celui que nous avons connu en 2015 est néanmoins très improbable, en particulier lorsque le ralentissement structurel de la demande de logements constitue une contrainte majeure.

 

Raphaël, quelles sont les principales opportunités commerciales en Asie ? Quels secteurs d’activités pourraient bénéficier de la réouverture économique ?

L’Asie dans son ensemble bénéficie du retour des touristes chinois, en particulier les économies d'Asie du Sud-Est comme les Philippines ou la Thaïlande, où le tourisme représente plus de 15 % du PIB. Dans ces pays, la reprise du tourisme aura des effets positifs sur le marché du travail, soutenant ainsi la consommation intérieure dans le secteur de la vente au détail. Pour les industries manufacturières avec des économies exportatrices comme la Corée du Sud ou le Japon, la situation est plus nuancée, la reprise chinoise ne pouvant à elle seule compenser le ralentissement actuel du commerce mondial.

 

Indépendamment de la reprise post Covid, quels sont les autres secteurs qui sont porteurs en Chine pour les années à venir ?

La population chinoise vieillit et d'ici 2040, environ 400 millions de personnes, soit 30 % de la population, auront 60 ans ou plus. Cela signifie qu'il y aura des opportunités dans le secteur de la santé, pour les services médicaux et pharmaceutiques ou pour les médicaments assurés par l'État. Le secteur des technologies de l’information et de la communication offrira également des opportunités commerciales dans les années à venir. Les politiques du gouvernement chinois visent à accélérer l'autosuffisance en matière de haute technologie, grâce à des incitations fiscales et à des aides au financement. Les entreprises chinoises sont aujourd'hui encouragées à investir dans la R&D dans des domaines tels que l'intelligence artificielle ou les puces. Les énergies vertes bénéficient également d'un fort soutien public, qu'il s'agisse des véhicules électriques ou des énergies renouvelables. Mais quel que soit le secteur, les opportunités de marché pour les entreprises étrangères pourraient être limitées d'une part par les sanctions des économies occidentales et d'autre part par la réglementation chinoise elle-même. Sur ce second point, les dernières communications de la Chine ont été plutôt rassurantes pour les entreprises étrangères. Le gouvernement a souligné que la Chine devrait élargir l'accès au marché et faciliter le commerce en supprimant certains contrôles gouvernementaux.

 

Eve, sur le plan politique, quelles leçons peut-on tirer du dernier congrès du parti communiste chinois et du revirement sur la politique anti-Covid ?

Le 20e congrès du parti chinois d’octobre dernier marque la consolidation du pouvoir de Xi Jinping et une rupture constitutionnelle puisqu’il a obtenu un 3e mandat en tant que secrétaire général du parti communiste chinois et président de la commission militaire centrale. Les conventions de la transition politique du parti semblent également avoir changé, plusieurs membres âgés de 68 ans ou plus ayant été promus au Politburo ou ayant vu leur statut de membre du Politburo prolongé. Contrairement à ses prédécesseurs, le nouveau premier ministre Li Qiang n'a pas non plus été vice-premier ministre et n'a pas d'expérience de gouvernement au niveau national. La décision d'abandonner la politique du zéro covid a été soudaine et inattendue. Elle s’est faite à la fin du mois de novembre de l'année dernière, sans préparation - principalement parce que les incitations politiques à maintenir cette politique étaient réduites, que les coûts économiques étaient prohibitifs. Aussi, il était de plus en plus évident qu'elle était inefficace contre le variant Omicron, hautement transmissible. Les protestations ont incité les dirigeants chinois à changer de braquet. La leçon que l'on peut en tirer est que ce revirement soudain révèle que les dirigeants gardent toujours un côté pragmatique et témoigne de leur flexibilité en termes d’orientation stratégique.

 

Quelle est la situation sociale ? Les mesures de contrôle strictes, les fermetures et les exigences de tests de masse ont fini par alimenter des tensions auprès de la population, qui ont déclenché des manifestations dans plusieurs villes vers la fin de l'année 2022... La situation est-elle plus apaisée ?

Après les manifestations anti-Covid de la fin de l'année dernière et la fin des restrictions, aucune protestation n'a été signalée. La situation sociale est plus stable et les Chinois voyagent à nouveau à l'extérieur du pays.

 

Raphaël a mentionné un chômage élevé, quelles sont les perspectives sur ce plan ?

La Chine a rempli ses objectifs de 2022 sur le plan du marché de l’emploi, avec un taux de chômage de 5,5 %, et la création de 12 millions d'emplois dans les villes, malgré un environnement économique et sanitaire difficile. Pour 2023, la stabilisation de l'emploi reste la priorité du gouvernement. Cependant, le chômage des jeunes reste très élevé. Début 2023, le chômage chez les jeunes a même augmenté. Il atteignait 18,1 % en février, soit un taux trois fois plus élevé que le taux de chômage urbain global (5,6 %) et nettement plus élevé que le taux moyen de l'OCDE (12,8 %). Un nombre record de 11,6 millions de diplômés devrait rejoindre la population active cette année. Les secteurs du numérique, de l'immobilier et de l'éducation, traditionnellement connus pour embaucher de nombreux jeunes diplômés, sont sous pression après que des réglementations strictes ont entraîné des licenciements et une forte réduction des activités. La tâche pour le gouvernement chinois sur le plan du marché du travail reste donc épineuse.

 

La crise sanitaire a mis en évidence la très forte dépendance de certains pays vis-à-vis de la chine.  Certains pays développés montrent une volonté pour s'affranchir de cette dépendance. Est-ce un risque pour l’économie chinoise ?

La Chine est très intégrée dans le commerce mondial et s'est érigée en “usine du monde” au cours des deux dernières décennies. Le pays joue un rôle primordial dans les chaînes d'approvisionnement mondiales. Comme vous l'avez souligné, la pandémie de Covid-19 a mis en évidence l'interdépendance du marché mondial. Il existe donc, comme vous l'avez dit, un désir des pays et entreprises étrangères de renforcer la résilience de leurs chaînes d'approvisionnement en se diversifiant sur d'autres marchés, soit plus proches des points de consommation, soit dans des pays "amis", ce que l'on appelle le "near-shoring" et le "friend-shoring". Cette tendance devrait se poursuivre dans les années à venir et représente un risque pour la croissance chinoise. Mais les dirigeants chinois en ont conscience, et c'est pourquoi ils ont élaboré une stratégie de double circulation, qui consiste en l’amélioration de la circulation et de la demande intérieure ; un point clé pour la croissance future. La Chine ne se replie pas pour autant sur elle-même, abandonnant le commerce extérieur, mais elle reconnaît seulement que le niveau de croissance de ces marchés sera moindre que par le passé.

 

Raphaël, y a-t-il des sociétés pour qui, se développer en chine était un passage obligatoire il y a quelques années et qui ont désormais changé leur fusil d’épaule en se diversifiant ?

Oui, les acteurs mondiaux diversifient leurs chaînes d'approvisionnement afin de réduire leur dépendance vis-à-vis de la Chine. Des multinationales comme Apple, Sony, Samsung, Nike ou Siemens, pour n'en citer que quelques-unes, ont déplacé certaines de leurs chaînes de production, de la Chine vers le Vietnam, la Thaïlande ou la Malaisie. L'Inde, dont l’économie croît rapidement, est une alternative logique, avec une main-d'œuvre jeune, peu qualifiée et moins coûteuse que la Chine. Toutefois, la délocalisation d’unités de production n'est pas motivée uniquement par des considérations économiques. C'est aussi le résultat des tensions commerciales actuelles entre la Chine et les États-Unis, et des risques géopolitiques croissants dans la région Asie-Pacifique.

 

Justement, chez Coface, constatez-vous une augmentation des demandes de protection liées aux risques et à la géopolitique en Asie et plus particulièrement en Chine ?

Les entreprises exportatrices qui sont nos clients bénéficient via nos services de couvertures contre les événements politiques. C'est pourquoi nous ne constatons pas une augmentation des demandes spécifiquement liées au risque politique. Cependant il est vrai que si cela a toujours été un sujet pour les gestionnaires de risque, nous voyons désormais que l’incertitude politique est une des principales sources de préoccupation pour les sociétés. Ce n'était pas le cas il y a quelques années.

 

Comment les relations sino-américaines et européennes ont-elles évolué ces dernières années, notamment à la lumière du conflit en Ukraine et de la récente visite du président chinois en Russie ?

Les relations entre la Chine et les États-Unis ont effectivement connu des tensions ces dernières années, et l'invasion de l'Ukraine par la Russie a aggravé davantage les relations bilatérales. Les États-Unis sont préoccupés par un certain nombre de questions concernant la Chine, allant de l'espionnage industriel aux violations des droits de l'homme au Xinjiang, en passant par l'avenir de Taïwan. Mais l'un des principal sujet de crainte pour les États-Unis est le fait que la Chine est en train de combler le fossé économique, industriel et technologique. La détérioration des relations entre les deux parties a contribué à creuser l’écart idéologique entre les deux puissances, tout en permettant à la Chine d’approfondir ses liens avec la Russie. Les relations entre la Chine et l'UE n'ont cessé de se détériorer également, ces dernières années, avec des tensions croissantes sur fond de sécurité et de commerce. Aucune des deux parties ne semble avoir de stratégie pour traiter avec l'autre. Dans le contexte de confrontation géopolitique actuel, l’apaisement des relations est compliqué. La Chine voit l'Europe comme un pilier essentiel contre l'émergence d'un front occidental uni et souhaite donc développer des liens économiques, technologiques et politiques plus étroits avec elle, mais les dirigeants chinois n'ont pas pris de mesures claires et concrètes pour améliorer les relations. Il est difficile de voir un renversement de ces fragmentations géopolitiques dans un avenir proche.

 

Quels sont les risques et les opportunités que le pays représente sur le plan commercial pour les entreprises étrangères ?

L'objectif premier du parti communiste chinois a toujours été de maintenir un monopole étatique dans le pays. Et aux yeux du parti, il faut donc maintenir les programmes de contrôle et de croissance, qui sont en tension mais complémentaires. La tendance est de plus en plus au renforcement du programme de contrôle. La Chine tend également à promouvoir son industrie nationale, plutôt que de dépendre des importations et des technologies étrangères - une autonomie qui n’est pas du goût des États-Unis. Toutefois, à court terme, la Chine reste assez dépendante des importations et des technologies étrangères. Pour résumer, elle souhaite être autonome, mais reste interdépendante du reste du monde. Cela se reflète dans l'absence de fortes représailles à l'encontre des entreprises américaines ou étrangères. La Chine reste un marché important et vaste pour les entreprises étrangères. Ses chaînes d'approvisionnement industrielles restent étendues, et difficiles à remplacer rapidement. Ainsi, à court terme, même si l'environnement réglementaire devient plus difficile et incertain, les entreprises étrangères ont encore la possibilité de faire des affaires en Chine.

 

Raphaël enfin, nous avons parlé tout à l’heure des secteurs porteurs, quels sont au contraire les secteurs plus à risque, notamment au regard de ce que Bernard vient de nous dire ?

Les industries les plus à risque sont celles qui dépendent de matières premières. Elles continueront à être confrontées à des difficultés car les prix restent au-dessus des niveaux pré pandémie. Au cours des derniers mois, nous avons constaté une augmentation des défauts de paiement et des faillites d'entreprises, en raison de la volatilité des prix de l'énergie qui affecte les marges et les trésoreries des entreprises. Certaines entreprises du secteur des nouvelles technologies sont également en difficulté en raison de la baisse de leurs ventes. En effet, il y a une demande mondiale plus faible pour les biens d’électronique grand public. Les PME qui sont pleinement intégrées dans la chaîne d'approvisionnement de ce secteur et qui ont accumulé des dettes pour survivre à la pandémie sont challengé et là encore, nos données font état d'un plus grand nombre de retards de paiement. Enfin, certaines entreprises de haute technologie pourraient faire l'objet de sanctions de la part du ministère américain du commerce. Nous avons constaté avec l’exemple de Huawei que la restriction de l'accès aux semi-conducteurs ou aux technologies clés a eu un impact substantiel sur ses revenus et ses bénéfices. Dans l'ensemble, le niveau d'incertitude est donc élevé, l'inflation perdure, la demande extérieure est faible, les marges des entreprises sont comprimées, et le risque politique ne disparaîtra pas et accentue la volatilité du marché. Compte tenu de cet environnement de risque, nous sommes convaincus que les entreprises doivent renforcer leur politique de gestion des risques de crédit.

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