Récession, inflation, Ukraine, Chine, politique monétaire... 2023 vue par Jean-Christophe Caffet, Chef Économiste de Coface

Wansquare a demandé à un panel d’économistes et de dirigeants de grandes entreprises leurs prévisions pour 2023. Voici ce que notre chef économiste Jean-Christophe Caffet leur a répondu.

Quelles sont vos perspectives pour l’économie mondiale ? Avez-vous élaboré plusieurs scénarios selon l’évolution de la guerre en Ukraine ?

 

Les conséquences de la guerre en Ukraine sont lourdes et, a priori, durables. Elles ont néanmoins mis plus de temps qu’initialement escompté à se traduire sur la croissance économique mondiale, malgré l’accélération de l’inflation provoquée par la forte hausse des prix des commodités, notamment de l’énergie. A part en Chine, l’année 2022 aura donc été de bien meilleure facture que ce que nous avions pu craindre dans les jours qui suivirent l’invasion de l’Ukraine. Trois principales raisons à cet écart, sinon de prévision, du moins de « timing » dans l’estimation des effets du conflit : le rebond post-pandémique toujours à l’œuvre et la réouverture rapide de nombreuses économies après la vague Omicron ; l’atténuation quasi-continue, dès lors,  des perturbations des chaînes de valeur mondiales malgré les confinements chinois du deuxième trimestre ; la forte désépargne des agents, notamment des ménages – les réserves accumulées pendant la pandémie jouant le rôle de coussin amortisseur.

 

Les mesures décidées dans l’urgence pour faire face à la crise énergétique, en Europe notamment, ont aussi joué leur rôle pour préserver l’activité et, dans une certaine mesure, la stabilité sociale. Mais tous ces éléments ne peuvent jouer éternellement et les perspectives pour 2023 s’annoncent pour le moins maussades, et ce quelle que soit l’évolution du conflit en Ukraine. Nous prévoyons pour notre part que la croissance mondiale sera sous les 2% l’an prochain, contre plus de 3,0% en moyenne ces dix dernières années.

 

La récession est-elle inéluctable en Europe d’ici les prochains mois ? Et en France ?

Une récession en Europe nous parait tout à fait possible, sinon hautement probable, au tournant de l’année. Nous sommes d’ailleurs probablement déjà en récession, à en juger par les dernières statistiques disponibles et les indicateurs avancés publiés récemment. Nous devrions néanmoins éviter une contraction forte de l’activité, la croissance ne devant être que légèrement négative au cours des quatrième trimestre 2022 et premier trimestre 2023. En bref, le scénario du pire, c’est dire celui d’une forte récession liée à une pénurie physique d’énergie, a été évité grâce aux achats massifs de gaz naturel liquéfié (GNL) réalisés tout au long de l’année et aux températures particulièrement élevées pendant l’automne. Ceci permet à l’Europe de rentrer dans l’hiver avec des stocks de gaz naturel élevés et de voir ses perspectives s’éclaircir à très court terme. Il en est de même pour la France, qui devrait être relativement moins impactée que ses grands voisins si la situation venait à se détériorer plus nettement en raison de sa moindre dépendance au gaz naturel d’une part, et d’autre part d’un tissu industriel plus étriqué.

 

Faut-il s’inquiéter d’un découplage entre les Etats-Unis et la zone euro ?

A court terme, c’est-à-dire à un horizon 9-12 mois, on ne peut pas vraiment parler de découplage entre les Etats-Unis et la zone Euro. Les deux économies vont en effet ralentir nettement et simultanément. Une récession n’est pas à exclure non plus aux Etats-Unis, même si nous pensons que la croissance devrait être sensiblement supérieure à celle de la zone Euro sur l’ensemble de l’année 2023. A plus long terme en revanche, il faut en effet s’inquiéter d’un découplage entre les deux zones monétaires pour toutes les raisons qui existaient avant la crise actuelle et qui demeurent (démographie, innovation, productivité…), auxquelles s’ajoute désormais un différentiel a priori durable en termes de prix de l’énergie, voire d’accès aux ressources. Si les autorités des deux côtés de l’Atlantique ne se saisissent pas du problème, ce découplage aura des répercussions massives sur les équilibres (géo)politiques, économiques et financiers mondiaux.

 

Le ralentissement économique chinois vous préoccupe-t-il ?

L’une des principales incertitudes pour 2023 concerne la macroéconomie chinoise. La vision consensuelle, à laquelle nous souscrivons plus par hypothèse que par pure conviction, est celle d’un fort rebond de l’activité en Chine une fois passée la flambée épidémique actuelle. Mais les défis auxquels reste confrontée l’économie chinoise sont nombreux, au premier rang desquels, à court terme, la crise que traverse son secteur immobilier – qui ne sera pas résolue avec les mesures récemment annoncées par les autorités. A vrai dire, ce qui m’inquiète davantage, c’est plutôt le scénario d’un fort rebond chinois au deuxième semestre, dans la mesure où celui-ci compliquerait considérablement la reconstitution des stocks de gaz naturel européens. Rappelons-nous en effet que celle-ci a été singulièrement facilitée cette année par une baisse d’environ un quart des achats de GNL par la Chine. C’est une chose de construire des terminaux de regazéification en Europe, c’en est une autre de mettre en service de nouvelles capacités de liquéfaction : dans un tel scénario, celles qui entreront en service en 2023 ne seront clairement pas suffisantes pour satisfaire toute la demande… 

 

L’inflation actuelle, d’où qu’elle vienne (matières premières, pénuries multiples, hausses de salaires), a-t-elle franchi son pic ?

L’inflation a atteint son pic aux Etats-Unis, où elle recule désormais depuis plusieurs mois. Il en est vraisemblablement de même en Europe, où l’inflation devrait significativement baisser au cours du premier semestre, pour de simples raisons arithmétiques –effets de base sur l’énergie notamment. Enfin, la situation est plus contrastée dans les pays émergents, comme souvent.

La question qui se pose actuellement n’est pas de savoir si l’inflation va baisser, mais jusqu’où. Hors énergie et alimentaire frais, l’inflation dite sous-jacente ne baisse pas, ou très peu. Compte tenu de l’évolution des salaires – certes négative en termes réels – et du ralentissement de la productivité, il y a peu de chances que l’inflation revienne à sa cible d’ici fin 2023. Sauf bien sûr si l’économie mondiale entrait en récession et entrainait dans son sillage les prix des commodités, ce qui n’est pas notre scénario central. Au contraire, nous pourrions plutôt assister à un rebond de l’inflation au cours du second semestre, avec de conséquences non négligeables sur la conduite des politiques monétaires.

 

Quelle influence auront les politiques monétaires des banques centrales sur l’économie réelle et les marchés financiers en 2023 ?

Les délais de transmission de la politique monétaire à l’économie réelle sont tels que les effets des tours de vis réalisés en 2022 restent, pour l’essentiel, à observer. C’est pour cette raison que les banques centrales marqueront certainement une pause l’an prochain, ou ralentiront sensiblement le rythme d’un resserrement monétaire sans précédent depuis plus de 40 ans. Ceci ne signifie pas qu’elles resteront inactives et/ou qu’elles n’auront pas d’influence ni sur l’économie réelle ni sur les marchés financiers, mais que leur impact sur la première est une fonction de ce qu’elles ont d’ores et déjà fait, tandis que sur les seconds cela dépendra de ce qu’elles feront – donc de l’évolution de l’inflation.

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