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Guerre commerciale : pourquoi «il ne faut pas trop se réjouir» de la suspension des droits de douane sino-américains

Si l' annonce d'un accord entre les USA et la Chine a été bien accueillie par les marchés, elle laisse persister l'incertitude, estime Marcos Carias, notre économiste Amérique de Nord dans cet entretien avec Louise de la Maisonneuve pour Le Figaro du 12 mai.

Suspension des droits de douane : un retour au statu quo

L'annonce était attendue de pied ferme par les marchés. Ce lundi, les États-Unis et la Chine ont annoncé, dans un communiqué commun, s'être mis d'accord sur une suspension des droits de douane punitifs instaurés ces dernières semaines. Concrètement, d'ici le 14 mai,  Washington va ramener ses droits de douane à 30%, et Pékin à 10%, selon le représentant américain au Commerce, Jamieson Greer. Une baisse de 115 points de pourcentage, donc.
Si elle signale une détente entre les deux grandes puissances, Marcos Carias, économiste pour l'Amérique de Nord à Coface, se montre prudent sur les conséquences de cet accord. Sans celui-ci, les répercussions économiques de l'escalade des tensions commerciales seraient devenues ingérables. Mais « rien de concret ne ressort de toute cette guerre commerciale, simplement un retour au statu quo ».


Alors que les États-Unis ont annoncé ramener leurs droits de douane à 30% (au lieu de 145 %), et la Chine à 10% (au lieu de 125 %), quel est l'état des lieux aujourd'hui ?

Il s'agit d'un retour au statu quo, autrement dit à la situation qui prévalait avant le ''Liberation Day, c'est-à-dire le discours prononcé par Donald Trump le 2 avril 2025, annonçant la nouvelle politique commerciale douanière. Une incertitude demeure toutefois : on ne sait pas si la suppression de la règle exemptant de droits de douane les importations de moins de 800 dollars (notamment les colis Shein, Temu ou Aliexpress) va être conservée. Depuis le 2 mai, les États-Unis avaient mis fin à cette exception. 

Faut-il se réjouir de cette détente ?

C'est une désescalade plus forte qu'attendue, car Donald Trump avait évoqué un tarif douanier de 80% sur la Chine grâce à ces négociations, et l'objectif de la délégation américaine était de passer en dessous de 60% de droits imposés à la Chine. Malgré tout, il ne faut pas trop se réjouir, car cela reste une suspension de 90 jours, soit un cessez-le-feu plutôt qu'une déclaration de paix. Tout peut arriver, car les deux pays ont des relations compliquées. Rien ne garantit une paix durable, surtout si l'on prend en compte la personnalité de Donald Trump.
Selon moi, les marchés s'emballent un peu trop vite. 

 

Les raisons derrière l'accord

 

Quelles sont les raisons de cet accord ?

Les deux puissances savaient qu'en continuant à augmenter les droits de douane, elles ne maîtriseraient plus rien. L'économie américaine au premier trimestre exhibait des chiffres étranges, qu'on ne savait pas trop comment interpréter, avec un recul du PIB de 0,3%, et une augmentation brutale des importations (+9.3%) associée à des entreprises cherchant à accumuler des stocks de biens avant qu'ils ne soient taxés. On se serait retrouvés face à une situation similaire à la crise de la chaîne d'approvisionnement aux États-Unis pendant le Covid. Ces résultats économiques ont des conséquences politiques sur l'image de Donald Trump qui voyait sa cote de popularité baisser.
 

Trump avait-il anticipé cet accord ?

Je ne pense pas. Il croyait fermement aux droits de douane, disait que cela serait douloureux sur le court terme mais qu'au final les résultats seraient positifs. De toute évidence, la réalité s'est révélée plus douloureuse que prévu.

 

Qui sont les gagnants et les perdants ?

 

Y a-t-il un gagnant et un perdant dans cette décision de suspendre les droits de douane punitifs ?

Si l'on compare avec la situation dans laquelle les deux pays se trouvaient (des droits de douane à 145% pour les États-Unis et à 125% pour la Chine), les deux pays sont gagnants. L'administration Trump doit s'estimer chanceuse d'avoir pu faire marche arrière sur sa décision d'augmenter ces droits de douane, qui était selon moi une erreur. Il n'est pas certain que Donald Trump ait conscience que cela pouvait aller aussi loin. Quant à la Chine, elle réussit à travers cet accord à maîtriser un collaborateur politique erratique. Le fait de réagir aussi fermement à la politique commerciale de Trump, en imposant des droits de douane à 125% sur les importations américaines, était un coup de poker plutôt réussi pour la Chine.

 

Qui était le plus susceptible de tirer avantage de cette guerre commerciale ?

Je pense que politiquement, le gouvernement américain avait le plus à perdre. Les conséquences sur l'économie ne sont pas faciles à calculer, en revanche d'un point de vue politique, une détérioration de la qualité de vie de la population peut avoir de fortes conséquences sur les élections. La Chine, elle, aurait eu une perturbation économique, mais avec un moindre impact sur le pouvoir du parti.
 

Finalement, quels bénéfices les États-Unis ont-ils tirés de cette guerre commerciale avec la Chine ? 

J'ai du mal à voir ce qu'ils ont gagné dans tout ça. Peut-être un accord commercial va-t-il en ressortir dans quelques jours. Donald Trump a en partie justifié ses droits de douane contre la Chine en expliquant vouloir réduire la quantité de fentanyl exportée aux États-Unis depuis la Chine. On verra si, dans 90 jours, la Chine s'engage à aller beaucoup plus loin que ce qu'elle proposait avant le «Liberation Day» dans la lutte contre le fentanyl.
Pour l'instant, rien de concret ne ressort de toute cette guerre commerciale, simplement un retour au statu quo.
En revanche, le dommage collatéral est important, avec une forte détérioration de la crédibilité des États-Unis comme partenaire commercial et beaucoup d'incertitude pour les acteurs économiques, ce qui n'est jamais positif.

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