A l'approche de la date butoir du 9 juillet sur le relèvement des droits de douane américains, Ursula von der Leyen s'est déclarée « prête à conclure un accord » avec les Etats-Unis, qui pourrait ne porter que sur des principes généraux à ce stade. La mondialisation a régulièrement changé de forme à travers l'histoire, estime le chef-économiste du groupe Coface interviewé par Muriel Motte pour l’Opinion après la sortie de notre dernier Risk Review. Face aux Etats-Unis, l'Europe a des leviers de rétorsion qu'elle peut actionner, explique-t-il.
Les marchés financiers sont plutôt zen alors que les incertitudes sont très élevées. Est-ce inquiétant ?
Jean-Christophe Caffet : Je ne suis pas sûr de partager ce constat, au regard de la forte préférence que nous observons. Mais il est vrai que les valorisations des actions sont très élevées, proches ou au-delà de leurs plus hauts historiques. Cela traduit une forme de soulagement d'avoir échappé au pire en matière de guerre commerciale. Aujourd'hui, les droits de douane moyens aux Etats-Unis sont d'environ 18 %. C'est moitié moins que les niveaux atteints dans les jours qui ont suivi le « Liberation Day », mais nettement plus que les 2,5 % dont Trump a hérité. Cette nouvelle donne ne semble pas encore intégrée dans les prix.
Les signes de ralentissement économique sont déjà perceptiblesoutre-Atlantique. La montée en régime des droits de douane risque de peser sur les marges, à moins que ceux-ci ne soient transmis aux consommateurs via la hausse des prix, donc in fine aux taux d'intérêt. Autrement dit, les multiples de valorisation et le niveau des taux d'intérêt actuels entraînent un premier de risque extrêmement faible, alors que les risques et les incertitudes n'ont jamais été aussi élevés. Tout ceci semble assez paradoxal et pourrait générer une correction assez substantielle.
Sur les marchés européens également, alors que les vents contraires s'intensifient et que les « réveils » qu'ont constitués les rapports Draghi et l'élection de Friedrich Merz paraissent désormais bien loin, et les divergences de vues et d'intérêt reviennent sur le devant de la scène.
Les droits de douane américains sont-ils une révolution pour la mondialisation ?
Il est encore tôt pour évoquer la fin du libre-échange, a fortiori de la mondialisation. Sans parler de dé-mondialisation, on assiste à une forte remise en question des échanges librement consentis et non tarifés. La stabilisation, en tendance, de la part des exportations dans le PIB mondial depuis 2008 a fait couler beaucoup d'encre et a parfois été surinterprétée. Elle s'explique surtout par le rééquilibrage du modèle de croissance chinois depuis la grande crise financière et par le dynamisme de la consommation aux Etats-Unis ces dernières années. Si l'on met de côté ces deux économies, le taux d'ouverture du monde continue d'augmenter. C'est notamment le cas en Europe, en Amérique Latine...
Les tarifs douaniers ne vont pas changer les choses ?
Les droits de douane vont changer beaucoup de choses, notamment l'architecture des chaînes de valeur, même s'il y aura, comme souvent lorsqu'une nouvelle règle est instaurée, des moyens de la contourner. Les pays « connecteurs » de demain ne seront pas nécessairement ceux d'hier. Rien ne dit qu'à la fin, cela aboutisse à une contraction des échanges commerciaux. Si l'on regarde, par exemple, les échanges internationaux de services, en progression quasi-linéaire, les flux transfrontaliers de données, en croissance exponentielle, ou même l'évolution, ces dernières années, du nombre de passagers/kilomètres dans l'aérien, il est quand même assez difficile de croire à une quelconque démondialisation. La mondialisation a régulièrement changé de forme à travers l'histoire, évoluant en fonction de la tectonique des lieux de production et de consommation. Tant que ceux-ci ne sont pas les mêmes, au niveau macroéconomique comme au niveau désagrégé (produits), il y aura des flux !
Je ne pense pas que des restrictions sur certaines applications ou réseaux sociaux, dont les effets délétères sur le fonctionnement de nos démocraties ou la santé mentale des plus jeunes soient avérés, soient une réelle menace pour la civilisation ou le projet européen.
Le Canada a d'entrée de jeu annulé sa taxe GAFA pour pouvoir négocier avec les Etats-Unis, l'Europe veut la maintenir. Qui a raison ?
Je suis assez convaincu de la nécessité d'être ferme vis-à-vis de la nouvelle administration américaine. Ne serait-ce que d'un point de vue éthique, à tout le moins du respect de la parole donnée. La Chine l'a d'ailleurs bien comprise. L'Europe n'est peut-être pas dans la même position de force que Pékin, mais elle a des atouts dans son jeu, des leviers de rétorsion qu'elle peut utiliser. Les Européens peuvent par exemple taxer des produits américains facilement substituables notamment ceux des Etats républicains ou restreindre l'accès des entreprises américaines aux marchés publics, contrôler les prises de participation dans les entreprises européennes, taxer les services numériques... Au risque de paraître provocateur, je ne pense pas que des restrictions sur certaines applications ou réseaux sociaux, dont les effets délétères sur le fonctionnement de nos démocraties ou la santé mentale des plus jeunes sont avérés, être une réelle menace pour la civilisation ou le projet européen... La clef pour l'Europe, c'est sa capacité à rester unie face à une administration qui, pour résumér, souhaite financer son budget en ponctionnant les marges des entreprises européennes.
Donald Trump a obtenu l'exemption des entreprises américaines de la fiscalité mondiale des multinationales... C'est un nouveau coup dur pour la gouvernance mondiale et le multilatéralisme, qui sont peut-être définitivement morts et enterrés. Comme pour la transition énergétique, si les Américains, responsables de plus de 10 % des émissions de gaz à effet de serre, ne jouent pas le jeu... Pratiquer la fuite en avant n'est cependant pas une option pour l'Europe, qui doit rester fidèle à ses valeurs et continuer de jouer le rôle qui est le sien, en s'efforçant de rallier des partenaires dans le monde pour continuer à avancer, sur tous les sujets climat, commerce, fiscalité...
La dette va continuer de dériver, d'autant que cela n'a pas l'air d'affoler les investisseurs, pour le moment. Tant que perdure la croyance que les taux ne peuvent que baisser, ou que la croissance va miraculeusement revenir, ce que je ne crois pas, la situation reste en apparence sous contrôle.
Quarante milliards d'euros d'économie dans le budget 2026 de la France, est-ce envisageable ?
Non, ce n'est pas faisable, et ce n'est de toute façon pas souhaitable sur une seule année. Compte tenu des équilibres politiques actuels, mener une réflexion à long terme paraissait néanmoins très compliquée. La dette va donc continuer de dériver, d'autant que cela n'a pas l'air d'affoler les investisseurs, pour le moment. Tant que perdure la croyance que les taux ne peuvent que baisser, ou que la croissance va miraculeusement revenir, ce que je ne crois pas, la situation reste en apparence sous contrôle. Plus généralement, les « problèmes » de la France en matière de compétitivité, de budget... sont archi-documentés depuis de nombreuses années (éducation, réglementation, niveau et structure des prélèvements obligatoires...). Pour voir les choses positivement, elles sont si nombreuses que c'en devient rassurant : il y a forcément des choses à faire qui ne soient pas trop coûteuses, à part peut-être politiquement, et qui amélioreraient significativement la situation. Comme pour l'Europe, il est désormais question de courage et d'action.
> Pour aller plus loin, téléchargez notre dernier Risk Review - Analyse des risque Pays et Sectoriels. <
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