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Retards de paiement, défaillances d’entreprises : décrypter les signaux d’alerte et anticiper les risques

Incertitude politique, stagnation économique, retards de paiement plus fréquents et plus impactant, secteurs sous haute tension : les experts de Coface décryptent les signaux faibles qui fragilisent le tissu économique français et la trésorerie des entreprises. Analyse macroéconomique, données sectorielles et perspectives 2026 des risques à surveiller pour anticiper les chocs et préserver la santé financière de votre entreprise.

Pourquoi l’incertitude politique et budgétaire paralyse l’économie française

L’économie française traverse une période d’immobilisme marquée par une croissance atone, un investissement des entreprises en baisse et une consommation des ménages stagnante (en savoir plus dans notre Revue des Risques d'Octobre 2025). Malgré une croissance annoncée de 0,3% au deuxième trimestre 2025, principalement portée par l'accumulation de stocks et les dépenses publiques, les principaux moteurs domestiques (la consommation des ménages et l’investissement des entreprises) eux sont à l’arrêt, avec une très légère croissance ou une stagnation de la consommation et des taux d’épargne à des niveaux historiques tandis que l’investissement des entreprises recule.

Cette situation s’explique par une dynamique prégnante d’attentisme de la part des acteurs économiques, nourrie par l’incertitude politique et la perspective d’efforts budgétaires inévitables, notamment des hausses d’impôts ou des baisses de dépenses. Avec un déficit public d’environ 5,4%, la France doit converger vers 3% à moyen terme, soit un écart de 2,4 points à corriger en 5 à 7 ans ! L'incertitude fiscale, budgétaire et réglementaire gèle les investissements et reporte les grandes décisions commerciales. Alors que, dans le même temps, cette trajectoire impose des efforts structurels qui alimentent l'anxiété des décideurs et pèseront nécessairement sur l’activité économique.

 

Retards de paiement : une menace directe sur la trésorerie des entreprises

L’enquête Coface sur les délais de paiement et défaillances d’entreprises en France en 2025 révèle une dégradation continue et préoccupante des comportements de paiement. 86 % des entreprises interrogées déclarent avoir subi des retards de paiement, un chiffre en hausse par rapport aux années précédentes. Mais le véritable signal d'alerte réside ailleurs : plus de la moitié des entreprises rapportent que ces retards sont désormais plus fréquents qu'auparavant.

Si la durée moyenne des retards de paiement en France n’a pas évolué (39,5 jours), ce qui a changé, en revanche, c’est leur impact dévastateur sur la trésorerie des entreprises. Les chiffres illustrent cette réalité : 55% des très petites entreprises (TPE) jugent l'impact « très important ou critique », et 39% des PME ainsi que 26% des grandes entreprises et des ETI déclarent que les retards de paiement impactent « significativement » leur trésorerie. Cette généralisation du « stress trésorerie » crée un effet de fragilisation en cascade : 42% des entreprises interrogées identifient les difficultés financières de leurs clients comme cause principale des retards, amorçant un véritable effet domino sur la trésorerie et, in fine, sur les défaillances d’entreprises, qui continue d’augmenter pour atteindre un niveau record (+37% vs 2019).

 Avec des retards plus fréquents, les comportements de paiement se détériorent clairement. Mais c’est surtout leur impact sur la trésorerie des entreprises qui est beaucoup plus fort, ce qui augmente nettement le risque de défaillances d’entreprises.

- Bruno de Moura Fernandes, responsable de la recherche macroéconomique de Coface.

 

IT, textile, transport : 3 secteurs sous tension à surveiller

IT : résilience apparente, dégradation réelle

Le secteur informatique (IT) incarne parfaitement les illusions trompeuses du contexte actuel. Le secteur se décompose en trois segments distincts avec des dynamiques contrastées :

  • les services informatiques (100 milliards d'euros de chiffre d'affaires, 7,5% de croissance annuelle depuis 2019),
  • les télécommunications (70 milliards €, 2% de croissance annuelle)
  • la fabrication de composants électroniques (45 milliards €, 3% de croissance annuelle).

Bien que les investissements massifs en intelligence artificielle dominent les débats à coups de centaines de milliards de dollars annoncés mondialement, la réalité du secteur IT est plus nuancée et fragile. L'enquête de paiement 2025 de Coface en France démontre que l'IT est largement concerné par les retards de paiement malgré sa réputation de secteur résilient.

Aujourd’hui, la réalité pour une entreprise moyenne du secteur IT est que ses perspectives de croissance sont en train de se dégrader assez rapidement.

- Aurélien Duthoit, économiste sectoriel spécialisé TIC (Tech & IA) de Coface.

A l’heure actuelle, les directeurs informatiques maintiennent uniquement les projets prioritaires et déjà engagés, tandis que les autres font l'objet d'un gel. Résultat : le secteur avait créé 85 000 emplois entre fin 2019 et fin 2023, mais en a détruit 11 000 depuis, une rupture de tendance spectaculaire pour un secteur structurellement dynamique. Cette destruction d'emplois affecte particulièrement la longue traîne de TPE et micro-entreprises (consultants indépendants, PME spécialisées) qui payent le prix fort du gel des investissements depuis 18 mois en France.

 

Textile-habillement : crise systémique et compression des marges

Le secteur du textile-habillement français fait face à une crise qui n’est pas seulement conjoncturelle. Depuis la pandémie, les ménages français privilégient l’épargne, réduisant leurs dépenses, en habillement. Bien que, depuis deux ans, plusieurs grandes marques françaises ont fait faillite, cette situation touche l'ensemble de la filière. Les petits commerçants indépendants étaient les premiers touchés. Les ventes en volume reculent depuis 2023, et cette tendance se poursuit cette année avec une baisse de 0,6% en glissement annuel au premier semestre 2025. Les entreprises du secteur sont prises en étau entre consommation à la baisse et coûts croissants.

Le secteur du textile-habillement en France fait face à une situation assez délicate, avec un recul des ventes en volume depuis 2023, les remboursements de PGE encore en cours, et l’augmentation des coûts énergétiques depuis la fin du bouclier tarifaire. Au-delà de ces pressions immédiates, la montée en puissance des acteurs de l'ultra-fast fashion fragilise durablement le secteur. 

- Eve Barré, économiste sectorielle spécialisée Transport, Textile-Habillement, Bois de Coface.

L'arrivée de nouveaux acteurs chinois en magasins physiques permanents ajoute une pression compétitive supplémentaire. Contrairement aux années 1980, où la fast fashion avait conduit à une délocalisation massive, aujourd'hui les acteurs du textile français optent pour une autre stratégie : réduire le réseau physique pour contenir les coûts fixes et préserver la trésorerie. Une équation complexe dans un contexte où la responsabilité sociale et environnementale des entreprises exige de réduire la surproduction.

 

Transport routier : défaillances en accélération

Le secteur du transport routier souffre d’une crise silencieuse, tout du moins médiatisée, mais néanmoins critique. Sur le 8 premiers mois de cette année, les défaillances dans le secteur ont augmenté de 50% par rapport à 2019, bien plus que la moyenne nationale (37%) ! Cette surreprésentation s'explique par la composition du secteur : dominé par les micro-entreprises qui opèrent avec des trésoreries tendues et des marges serrées, il est intrinsèquement plus vulnérable aux chocs économiques.

Le ralentissement économique français réduit directement le volume de marchandises transportées et pèse sur les taux de fret. Pire, les coûts (salaires, normes environnementales) augmentent au fur et à mesure que les revenus stagnent. Un réel casse-tête économique pour les transporteurs : la pénurie structurelle de conducteurs force les entreprises à offrir de meilleurs salaires tandis que les nouvelles réglementations environnementales européennes, elles, rendent les poids lourds plus chers et plus sophistiqués. Cette compression des marges crée un engrenage sans issue, notamment pour les plus petits opérateurs sans grande surface financière.

Le problème, ce n'est pas fondamentalement un tassement du chiffre d'affaires, mais le fait que celui-ci est concomitant à des coûts qui continuent d'augmenter.

Eve Barré

 

Perspectives 2026 : pessimisme prudent et impacts différenciés

Les perspectives pour 2026 restent pessimistes : plus de la moitié des entreprises interrogées anticipent une dégradation économique l’an prochain, tant en France qu’à l’international, notamment dans les secteurs du transport et de l’industrie.

Pour 43% des 650 entreprises interrogées, l’instabilité sociopolitique en France est, de très loin, le principal risque identifié pour 2026, y compris par des acteurs opérant également à l’export, qui bénéficient pourtant d’un risque diversifié. 

- Bruno de Moura Fernandes

 

Les autres risques majeurs ciblés ? 

Les tensions géopolitiques mondiales, le ralentissement de la demande mondiale, la hausse des coûts des matières premières, et bien entendu la question lancinante des droits de douane américains. 

Sur les droits de douane spécifiquement, 84% des entreprises rapportent avoir déjà subi un impact ou anticiper un impact immédiat. Les réactions divergent selon les secteurs : certains réduisent leurs marges, d'autres baissent leurs volumes exportés ou gèlent leurs investissements aux États-Unis. Globalement, 40% des entreprises déclarent avoir déjà réduit, ou avoir l'intention de réduire, leurs marges en réaction directe aux droits de douane. Cette dynamique d'adaptation défensive suggère que le second semestre 2025 et l'année 2026 seront marqués par une pression économique accrue, une fragilité trésorière généralisée et une exposition à de nouveaux risques géopolitiques.

 

Allez plus loin

Pour tout comprendre des fragilités du tissu économique français, anticiper les chocs sur votre trésorerie et bénéficier de conseils d’experts : regardez le webinaire "Regards croisés sur l'économie française", organisée par Coface et Les Echos Etudes

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