Forces
- Secteur relativement résilient aux chocs conjoncturels car besoins alimentaires peu compressibles
- Niveau des stocks confortables pour 2023, notamment concernant les céréales de base (blé, etc.)
Faiblesses
- Secteur très sensible aux prix de l’énergie et des intrants
- Secteur très impacté par les tensions protectionnistes
- Secteur très dépendant des aléas climatiques et biologiques, aggravés par l’augmentation de la fréquence de phénomènes extrêmes (sécheresses, La Niña / El Nino, etc.)
- Volatilité des cours des matières premières agricoles
- Concentration des stocks dans quelques pays
Appréciation du risque
Synthèse de l’appréciation du risque
Le secteur agroalimentaire mondial a essuyé au cours de l’année écoulée plusieurs chocs – géopolitique, climatique et biologique. Les entreprises du secteur ont dû faire face aux conséquences de la guerre en Ukraine, après l’invasion du pays par la Russie (étant donné que ce sont tous les deux d’importants exportateurs mondiaux de céréales), ainsi qu’aux diverses épizooties, et phénomènes climatiques extrêmes.
L’indice FAO des prix alimentaires a atteint en mai 2022 sa valeur la plus élevée depuis septembre 2011. L’augmentation des cours de l’énergie et des fertilisants avaient provoqué la flambée des prix alimentaires ; depuis le T2 2022 puis leur stabilisation à des niveaux élevés. Les pressions inflationnistes devraient ainsi se poursuivre en 2023. Nous nous attendons en effet à ce que les entreprises du secteur continuent à être impactées par les cours élevés de l’énergie et des intrants.
Selon le 6e rapport du GIEC*, les phénomènes climatiques extrêmes se manifestent désormais à un rythme jamais vu depuis le début du XXe siècle, associés à des épisodes météorologiques intenses (La Niña/El Niño), à l’intensification des épizooties (grippe aviaire, peste porcine africaine) et à l’apparition ponctuelle d’espèces invasives. Le segment agricole reste pour 2023 très vulnérable aux composantes climato-météorologiques et biologiques.
Enfin, les difficultés accrues du secteur agricole poussent les instances européennes à retarder l’avancée d’initiatives « environnementales », alors que le ralentissement de la production de certaines céréales et les coûts de production élevés constituent des obstacles pour les approvisionnements en denrées alimentaires sur le continent et à travers le monde.
El Niño : phénomène météorologique océano-athmosphérique, dont la principale manifestation est l’augmentation anormale des températures des eaux de surface du Pacifique Centre et Est (façade latino-américaine).
La Niña : phénomène météorologique océano-athmosphérique, dont la principale manifestation est la diminution anormale des températures des eaux de surface du Pacifique Centre et Est (façade latino-américaine).
*GIEC : Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat
Analyse approfondie du secteur
Le secteur de l’agroalimentaire au niveau mondial est affaibli par les pressions inflationnistes et la contraction des échanges commerciaux
Les tendances inflationnistes sur les commodités agricoles observées depuis 2021 et exacerbées par l’intervention militaire russe en Ukraine à partir du 24 février 2022 ont connu un fléchissement au 2ème semestre 2022. L’Ukraine est en effet un exportateur mondial de premier rang de céréales (9% des exportations mondiales de blé en 2019) et d’huiles végétales. Quant à la Russie, rapidement soumise à des contraintes aux exportations (diminution des volumes de fret en Mer noire, aversion des armateurs internationaux pour la région, constitution de stocks stratégiques de céréales), elle est également un important exportateur de céréales (16% des exportations mondiales de blé). De surcroît, la Russie et son allié biélorusse sont parmi les plus importants exportateurs mondiaux de fertilisants.
Nous prévoyons des prix des commodités agricoles à la hausse cette année, soutenus par les prix de l’énergie et des intrants chimiques, dans un contexte de volatilité élevée. Mécanisés, énergivores et dépendants des intrants chimiques, les systèmes agro-industriels mondiaux continueront de souffrir de la hausse des coûts de production chimiques – Coface estime que les cours du baril de Brent avoisineront les 90 USD en moyenne sur l’année 2023.
Les réflexes protectionnistes dans certains pays, pendant les premiers mois du conflit en Ukraine, pour tenter de palier l’envolée des prix, font craindre l’adoption de mesures similaires de manière ponctuelle face à de possibles poussées inflationnistes. En effet, l’accès des populations aux denrées alimentaires de base, a fortiori dans des pays à forte démographie (Inde, Nigeria, Indonésie, etc.), est déterminant pour la stabilité socio-politique. Ainsi, l’Inde, par exemple, préoccupée par les risques de sécurité alimentaire pesant sur une partie de sa population a restreint provisoirement les exportations de blé (mi-mai 2022), puis de sucre (juin 2022), puis de riz (septembre 2022).
Enfin, alors que globalement les tensions sur le fret maritime se sont apaisées depuis quelques mois, la Mer noire demeure une zone de friction importante. Autoroute mondiale des céréales, le Bosphore a permis au Président R. T Erdogan de se positionner comme « médiateur » entre Kiev et Moscou. La fragilité des compromis et les échéances courtes ajoutent à la volatilité et à l’incertitude sur les volumes réels qui transiteront par ce corridor. Dernier accord en date, le 18 mars 2023, la prolongation de 60 jours du « corridor d’urgence » permettant le transit d’un volume réduit de céréales ukrainiennes par la mer. Toutefois, l’absence d’alternative viable donne une importance indéniable à ce sujet et à la Turquie dans les négociations internationales actuelles et le rapport de force régional en Méditerranée orientale.
Les risques climatiques et biologiques, préexistants à la crise sanitaire liée à la COVID-19, gagnent en intensité
Les phénomènes climatiques extrêmes, comme les fortes vagues de chaleur, les inondations (comme au Pakistan), les incendies de forêt, ou encore les oscillations climatiques comme ENSO[1] se sont intensifiés. Au moment où nous écrivons cette fiche, la perspective d’un passage au cours de l’année 2023 de l’épisode triennal de La Niña (qui devrait prendre fin au T2 2023) à un épisode El Niño (à partir de T3 2023) laisse craindre une exacerbation des phénomènes météorologiques extrêmes dans des régions agricoles mondiales de premier rang (Amérique Latine, US, Australie). Si les niveaux de récoltes sont hétérogènes d’une région à l’autre, la FAO estime néanmoins que les niveaux de production céréalières de la saison en cours (juillet 2022-juin 2023) seront en-deçà de la saison précédente, marquant un ralentissement des gains de rendements et des superficies exploitées.
Ensuite, l’intensité et la fréquence des épizooties accroît les risques sur le segment de l’élevage mondial et sur la volatilité des prix des intrants fourragers. En effet, les occurrences d'épizooties de ces dernières années ont sérieusement affaibli les rendements du bétail – telles que la grippe aviaire en Europe (46 millions de volailles abattues au 1er semestre 2022) et la peste porcine africaine en Chine (240 millions de porcs abattus entre 2018 et 2019). Les conséquences sont perceptibles sur l’offre de viande (et son prix) directement mais également sur le prix des céréales (notamment le maïs) et fourrages, par de brutales variations de la demande. Si la Chine a retrouvé son niveau de cheptel d’avant épidémie de PPA, les autorités suivent de près ces évolutions, compte tenu des risques de forte propagation dans les structures d’élevage intensif et les dangers de la zoonose (porosité entre l'animal et l'homme dans la transmission de certains virus).
Outre ces épizooties, il faut noter deux risques biologiques importants pour le secteur agro‑alimentaire : la chenille légionnaire d’automne (FAW pour Fall Armyworm) et le criquet. La FAW est une chenille qui se nourrit principalement de maïs, mais aussi de riz, de sorgho et de coton, entre autres. Elle a été détectée pour la première fois en Afrique de l’Ouest début 2016. La FAW a aujourd’hui atteint 44 pays, en Asie et en Afrique, mais aussi en Australie. La Chine est le deuxième plus grand producteur mondial de maïs, la présence de la FAW pourrait donc conduire à des pressions inflationnistes additionnelles sur les prix mondiaux du maïs (dont la production mondiale est prévue en baisse en 2022/23).
Les « bonnes pratiques » européennes en matière d’environnement et d’agriculture raisonnée pourrait être questionnée alors même que les perspectives de récoltes invitent à maximiser les volumes produits
L’année 2022 a marqué le retour des craintes de crise alimentaire à grande échelle dans les économies émergentes et de pénuries de biens alimentaires dans les économies avancées. 2023 portera peu ou prou les mêmes inquiétudes, alors même que les récoltes de maïs dans l’hémisphère nord au T3/T42022 ont été mauvaises. Alors qu’elle portait des initiatives de promotion de l’agriculture raisonnée, la Commission européenne pourrait être contrainte de freiner certaines de ses initiatives en 2023. La baisse marquée de la production de maïs en Europe, les menaces de sécheresses estivales qui pourrait menacer les rendements – de blé dans l’hémisphère nord et de maïs dans l’hémisphère sud – font planer le risque de pénuries d’approvisionnement en Europe et l’affaiblissement de l’ensemble de la chaîne de valeur agroalimentaire.
De même, les mesures douanières sur l’importation d’engrais pourraient être levées provisoirement afin d’alléger les coûts de production. En effet, l’augmentation des prix des intrants chimiques a pesé sur la saison 2021/22 et compromis une production suffisante (ex : maïs). Toute action susceptible d’endiguer l’augmentation des prix à la consommation sur les produits alimentaires est accueillie favorablement par les Etats.
Enfin, l’augmentation des flux de céréales ukrainiennes, dont les exportations par la Mer noire sont limitées, vers les pays limitrophes dans cette zone, pourrait à court terme créer des distorsions de concurrence au sein de l’Union Européenne. Ainsi, en décembre 2022, 3 millions de tonnes de céréales avaient été exportées vers l’Europe, selon le directeur général adjoint de la Commission européenne. Les instances bruxelloises, qui se saisissent de ce sujet au moment de l’écriture de cet article, pourraient débloquer des leviers financiers afin de résorber cette anomalie concurrentielle.
Dernière mise à jour : juillet 2023