Face à l’organisation complexe du secteur du transport, où les chaînes de sous-traitance et le nombre important d’acteurs peuvent générer des litiges commerciaux, la loi Gayssot est une garantie légale en faveur du transporteur qui sécurise le paiement de ses prestations. Ce qui constitue un risque spécifique à maîtriser pour les responsables financiers d’entreprises expéditrices ou destinataires. Enjeux et solutions.
Qu’est-ce que la loi Gayssot ?
Le secteur du transport présente une organisation souvent complexe, avec des chaînes de sous-traitance pouvant laisser émerger des incertitudes ou désaccords lorsqu’il s’agit de désigner les entités chargées de régler les factures.
C’est dans ce cadre qu’intervient la loi Gayssot, qui désigne un dispositif redoutablement efficace sécurisant le paiement des prestations de transport routier au moyen d’un mécanisme simple : tout transporteur dispose du droit inaliénable d’être rémunéré de la prestation effectuée et peut s’en prévaloir auprès du destinataire ou de l’expéditeur de la marchandise.
Les implications du texte sont à considérer avec attention par tout responsable financier d’une entreprise de transport, ou à ceux ayant recours à des prestataires du domaine.
Les principales dispositions de la loi Gayssot
Revenons en 1998, alors que la loi n° 98-69, dite « loi Gayssot » (à ne pas confondre avec la loi homonyme de 1990 relative à la lutte contre le racisme) vise à améliorer les conditions d’exercice de la profession de transporteur routier, par des mesures ensuite codifiées à l’article L.132-8 du Code de commerce. En pratique, le texte accorde au transporteur (le « voiturier ») un droit d’action directe pour obtenir le paiement du prix du transport auprès de l’expéditeur ou du destinataire, même si un intermédiaire (défaillant) avait logiquement la charge du règlement.
La « lettre de voiture » forme le contrat entre les parties, et toute clause qui priverait le transporteur de cette garantie de paiement est réputée non écrite. En clair : toute entreprise décidant de faire appel à un intermédiaire (commissionnaire, transporteur principal, plateforme) qui ne paierait pas le transporteur missionné, peut voir ce dernier se retourner directement contre elle, qu’elle soit l’expéditeur (chargeur) ou le destinataire, pour obtenir le règlement de sa facture.
La loi Gayssot et le secteur du transport
Améliorer les conditions d’exercice de la profession de transporteur routier
Le cœur du dispositif Gayssot tient en une phrase : le transporteur dispose d’une possibilité d’action directe en paiement à l’encontre de l’expéditeur et du destinataire, garants du prix du transport. La loi a donc instauré une garantie légale qu’aucun contrat ne peut écarter. Elle vise à protéger un maillon structurellement fragile de la chaîne logistique (le transporteur effectif) face au risque important de défaillance d’intermédiaires pouvant être nombreux.
Attention, ce droit n’est pas transférable à d’autres acteurs : seul le transporteur qui a effectivement réalisé la prestation (celui qui a physiquement déplacé les marchandises) peut l’exercer. Un commissionnaire, un transporteur « amont » n’ayant pas exécuté la traction, ou un payeur subrogé ne peuvent pas s’en prévaloir. La jurisprudence a d’ailleurs rappelé que ce mécanisme, parce qu’il peut conduire l’expéditeur ou le destinataire à payer deux fois, s’interprète strictement.
Les actions possibles pour les créanciers sous la loi Gayssot
Contre qui l’action peut-elle être exercée ?
L’action directe vise l’expéditeur et / ou le destinataire de la marchandise. La loi les désigne comme garants du paiement et le transporteur peut choisir l’un, l’autre, ou les deux, pour se prévaloir de son droit à être payé. En pratique, il ciblera la partie la plus solvable, souvent le grand donneur d’ordres.
Bon à savoir
Le transporteur n’a pas à démontrer l’insolvabilité de son donneur d’ordre immédiat pour actionner cette garantie, mais doit en revanche prouver la réalité, le montant et l’exigibilité de sa créance (par la présentation d’un contrat, d’une facture émise, de la lettre de voiture et autres preuves de livraison).
Comment mettre en œuvre une action directe ?
Pour un transporteur désirant se prévaloir du mécanisme de la loi Gayssot, trois étapes sont à suivre :
1. Adresser au client défaillant une mise en demeure de payer, en lui signifiant un délai minimal de 15 jours.
2. Notifier le débiteur de la suspension des effets de la lettre de voiture ou de la facture restée impayée, ce qui engendre une interdiction pour le destinataire de prendre livraison de la marchandise et pour le transporteur, d’encaisser le fret.
3. Dès que la créance est réglée, informer le débiteur de la reprise des effets du contrat de transport. La livraison et la facturation peuvent alors intervenir normalement.
Quel délai pour agir ?
Toutes les actions nées du contrat de transport se prescrivent par un an. Pour le transporteur, cela signifie qu’il doit gérer ses créances impayées dans l’année, ce qui reste un délai très court pour une assignation. Pour l’entreprise expéditrice ou le destinataire, cela implique de documenter et conserver les preuves pendant au moins ce délai, et d’anticiper les contestations éventuelles.
Ce délai d’un an est un délai de prescription : en pratique, seule une assignation (citation en justice) peut l’interrompre. Une simple relance, mise en demeure ou requête en injonction de payer ne suffit pas. Il est donc important que le processus de recouvrement soit structuré pour que ses échéances permettent le recours à l’action directe en cas de besoin.
L’impact de la loi Gayssot sur les pratiques commerciales
Permettre à une entreprise de transport de faire face à un risque « normal »
L’élaboration de la loi Gayssot répond à un fait économique : la sous-traitance est structurelle dans le transport. Entre l’industriel (expéditeur), le commissionnaire, le transporteur principal, le sous-traitant et parfois un sous-traitant de rang 2, les flux d’information et de paiement se fragmentent. Le transporteur effectif, en bout de chaîne, supporte le risque de défaillance de n’importe lequel des maillons en amont, ce qui multiplie ses risques de subir un impayé. L’action directe recompose le risque en le réaffectant aux donneurs d’ordres finaux, qui bénéficient directement du transport.
Une exposition bilatérale expéditeur / destinataire
Si l’expéditeur et le destinataire sont garants du prix du transport, en amont (expédition des composants vers vos sites) comme en aval (livraison de vos produits à vos clients), ils ont tout intérêt à codifier et renforcer leurs bonnes pratiques, en vue de maîtriser la conformité documentaire (lettres de voiture correctement renseignées, preuves de livraison fiables, traçabilité des flux) et à structurer leurs process contractuels. Les équipes dédiées doivent en outre être formées au repérage des lettres de voiture et sur les partenaires les plus exposés, il convient de coupler contrôle interne et recouvrement structuré.
La meilleure défense reste la discipline organisationnelle : process écrits, contrôles de deuxième niveau sur les dossiers de transport à risque, sensibilisation régulière des équipes comptables et ADV, revues trimestrielles des partenaires logistiques clés. Dans les groupes multisites, la désignation d’un référent sur le dossier “loi Gayssot” évite les angles morts.
Soulignons que le mécanisme de la loi Gayssot ne résulte pas d’une faute de l’expéditeur ou du destinataire : c’est une garantie légale en faveur du transporteur, qui veut apporter des solutions contre les impayés. L’objectif n’est donc pas de se défendre, mais de neutraliser en amont le risque de double paiement par des exigences de preuve et un pilotage rigoureux des intermédiaires.
Le risque de double paiement
C’est l’aspect le plus sensible pour les directions financières, qui cherchent à se prémunir du risque de double paiement car en pratique, elles peuvent être condamnées à payer un transporteur alors même qu’elles ont déjà réglé le montant du transport auprès d’un intermédiaire, lequel s’avère finalement défaillant. Si un recours peut ensuite être mené contre l’intermédiaire, il reste aléatoire en cas de procédure collective et une attention particulière sera à porter au choix des partenaires et à leur solidité.
La maîtrise du risque « loi Gayssot » s’inscrit dans le pilotage du besoin en fonds de roulement et du risque fournisseurs, avec certaines précautions réduisant l’exposition :
- L’exigence de la preuve de paiement effectif du transporteur avant de régler l’intermédiaire (workflow de libération du paiement conditionné à un « OK transporteur », avec un justificatif standardisé exigé par les équipes comptables), couplée à l’insertion d’un mécanisme de « stop-payement » en cas d’alerte ;
- L’insertion de clauses de remontée d’informations obligatoires dans les contrats avec les commissionnaires et transporteurs principaux (communication périodique du « pay-when-paid » effectif aux sous-traitants), et droit d’audit documentaire sur les paiements aval ;
- La surveillance proactive du risque de défaillance des intermédiaires, pouvant être externalisée auprès d’un prestataire spécialiste de l’information d’entreprise ;
- L’élaboration d’un plan de réponse en cas d’assignation d’un transporteur ;
- Le recours à l’assurance-crédit pour sécuriser le poste clients et amortir les effets de chaîne.
Transport international : quelle portée de la loi ?
La loi Gayssot reste un mécanisme de droit français. Elle s’applique dès lors que le contrat ou les rattachements (domiciliation des parties, lieux de chargement / livraison) conduisent à l’application du droit français. En transport routier international, la CMR régit de nombreux aspects, mais la possibilité d’action directe dépendra du droit applicable au contrat et de la compétence juridictionnelle. En dehors de l’UE, il convient de redoubler de vigilance : le mécanisme peut être inopérant ou plus difficile à faire reconnaître.
À retenir
- Aucune clause contractuelle ou condition générale ne peut empêcher la mise en œuvre de l’action directe.
- Le transporteur n’a pas à démontrer la défaillance de son débiteur, il doit prouver sa créance et son exécution.
- Le paiement d’un intermédiaire ne libère pas de l’obligation de payer le transporteur : il est essentiel d’obtenir la preuve du règlement au transporteur, avant de régler l’intermédiaire.
- Le transporteur dispose d’un délai d’un an pour se prévaloir de la loi Gayssot.
La loi Gayssot est un levier de sécurisation pour les transporteurs, mais représente un défi de maîtrise du risque pour les expéditeurs et destinataires.
Pour les responsables financiers, l’enjeu n’est pas tant de débattre du principe que de l’intégrer au fonctionnement de leurs services, lesquels sont amenés à collaborer plus étroitement que jamais : preuves avant paiement, exigences contractuelles de transparence dans la chaîne, synchronisation des délais juridiques avec les calendriers de clôture, sans oublier d’articuler de manière intelligente les outils de prévention (process de recouvrement de créances, assurance-crédit, scoring). La contrainte légale peut alors être transformée en avantage opérationnel, fluidifiant les paiements tout en réduisant l’aléa d’un double règlement.
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Questions fréquentes sur la loi Gayssot sur le transport
Comment invoquer l’action directe prévue par la loi Gayssot ?
La loi Gayssot permet au transporteur routier d’exercer une action directe contre l’expéditeur ou le destinataire en cas de non-paiement. Pour cela, il doit prouver sa créance (lettre de voiture, facture, preuve de livraison) et agir dans un délai d’un an. Ce mécanisme protège le transporteur même si un intermédiaire (commissionnaire, plateforme) est défaillant.
Quels sont les risques pour une entreprise en cas de non-respect de la loi Gayssot ?
Le principal risque est le double paiement : une entreprise peut être contrainte de payer le transporteur, même si elle a déjà réglé un intermédiaire. En cas de procédure collective ou d’insolvabilité de ce dernier, le recours est incertain. Il est donc essentiel de structurer les processus de paiement et de preuve.
La loi Gayssot s’applique-t-elle au transport international ?
La loi Gayssot est un mécanisme de droit français. Elle s’applique si le contrat ou les lieux de chargement/livraison sont rattachés à la France. En transport international, la convention CMR peut primer, mais l’action directe dépendra du droit applicable au contrat.
Quels documents sont nécessaires pour faire valoir la loi Gayssot ?
Le transporteur doit présenter une lettre de voiture, une facture, et des preuves de livraison pour démontrer la réalité et l’exigibilité de sa créance. Ces éléments sont indispensables pour enclencher l’action directe et sécuriser le recouvrement.
Comment éviter le risque de double paiement lié à la loi Gayssot ?
Les entreprises peuvent mettre en place un workflow de paiement conditionné à la preuve du règlement du transporteur, insérer des clauses de transparence dans les contrats avec les intermédiaires, et surveiller leur solvabilité. L’assurance-crédit peut aussi amortir les effets d’une défaillance.



